review on Climax at Theatre Garonne

Manon Ona
01.07.2014

 CLIMAX

Point culminant d’une progression
Etat durable d’équilibre atteint par l’ensemble d’un sol et de la végétation qu’il porte

S’il n’y a pas de règle en la matière, quinze ans forment un bon chiffre pour marquer une étape au sein d’une carrière. On pouvait s’y attendre avec un tel titre, par son format et son travail de couture esthétique CLIMAX offre en effet au spectateur un condensé de l’oeuvre de Yasmeen Godder, en même temps qu’une approche originale du rapport public, ce qui permet à la création de conjurer toute réduction à un simple medley – ceci n’est pas une rétrospective, et certainement pas un revival. A la fois neuf et familier, ce travail commandé à la chorégraphe israélienne par un musée et fraîchement créé dans son pays natal (juillet 2015), vient désormais tourner en salle – les ateliers du théâtre Garonne, pour l’heure.

… l’ensemble d’un sol et de la végétation qu’il porte …

Spectateur, tu entres dans un écosystème dont tu seras le terreau et le tronc ; si tu t’assieds à l’orée, sans doute pourras-tu observer à loisir ce qui se trame dans cette dense végétation humaine, mais peut-être n’en apprécieras-tu pas les sensations à leur juste valeur. Si tu acceptes d’évoluer librement dans la salle, partageant le plancher avec les interprètes et les autres courageux, alors tu deviendras arbre parmi les arbres. Une branche d’appui pour six créatures mutines, qui viendront te prendre par la main, puis évolueront à tes côtés, jouant de ta présence comme d’un élément à mi-chemin entre le compagnon de plateau et la contrainte spatiale.
Nous ne sommes pas, pour autant, dans un univers interactif en improvisation, où la création se nourrirait seulement de la relation avec le public. Loin de là : pas une minute qui ne soit écrite, et des effets de synchronisation entre les corps et le travail vocal (souffles, cris…) en attestent régulièrement, si les tableaux collectifs ne suffisaient à le prouver. Ici et là, refondus, revivifiés, les éléments d’une syntaxe propre à Godder, étonnant mélange entre une intégration du geste social très identifiable (quitte à chorégraphier le bras d’honneur) et la tentation de l’abstraction, loin d’une sémiotique facile. Le spectateur ayant déjà vu de ses créations ne sera pas égaré – le phrasé dénoué et les gestes provocateurs de I’m mean, I am, le fauve hérité de Lie like a lion entre autres, ou encore les convulsions de Storm End Come. Tableaux collectifs, disions-nous ? Particulièrement polymorphes. Ronde émulative rappelant les danses rituelles (et pourquoi pas le haka), enroulement d’escargots, embrassades de rescapés… Impressionnants de puissance quand Yasmeen Godder danse seule, certains segments chorégraphiques sont repris ici dans une intéressante diffraction à six – entendez-bien, six visages expressifs (voire expressionnistes), douze bras réquisitionnés en une danse affectionnant les aplats francs, d’une sécheresse brutale, et enfin… six paires de jeans et de baskets. C’est juvénile, c’est agressif.
La première partie surtout. La seconde, après l’entracte, se fait plus linéaire, repique des motifs moins variés et donne la préférence au sol, au milieu d’un public plus sage, qui s’en tient davantage aux murs de la salle. Tout s’apaise. L’ensemble prend finalement d’étranges airs de communion, de lent épuisement des corps – quoi de plus normal, après l’endurant marathon qui a précédé…
Alors, sommes-nous au sommet du mont Godder ? Dans sa jungle, plutôt. Parmi ses lionnes et ses lianes. ||ֿ